Le soutien à l'électromobilité par la puissance publique : qui va payer la note ?

17/2/2022
Les auteurs de cet article
Julie Chrétien
Directrice des opérations et des études
Hadrien Bajolle
Chef de projet
Nabil Kabbadj
Chargé d’études et de recherche
Nicolas Louvet
Fondateur et Directeur

Article initialement écrit pour la Fédération Nationale des Associations d’Usagers des Transports (FNAUT) à consulter ici

Un développement de la mobilité couteux pour les finances publiques

L’évolution des ventes de voitures électriques en France comme en Europe suit une croissance très rapide. En 2020, près de 195 000 véhicules électriques et hybrides rechargeables ont été immatriculés, soit 8% de l’ensemble des ventes. Cela représente une augmentation de près de 200% par rapport à l’année précédente. Les objectifs de politique publique pour la croissance de la mobilité électrique sont très ambitieux : la Programmation Pluriannuelle de l’Energie (PPE) prévoit trois millions de véhicules électriques et 1,8 millions de véhicules hybrides rechargeables en circulation dès 2028.

Or, le développement de la mobilité électrique a un impact fort sur l’équilibre des financements accordés aux différents modes de transports en France. Il représente d’abord des dépenses publiques supplémentaires envers le système automobile en raison des différents dispositifs d’aide dont bénéficient les véhicules électriques. Par ailleurs, l’essor du véhicule électrique est susceptible d’entrainer une érosion des ressources fiscales. En France, les taxes représentent environ 60% du prix des carburants à la pompe. Il s’agit principalement de la TICPE (Taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques) et de la TVA. Au total, plus de 20 milliards d’euros de rentrées fiscales serait directement liés à la consommation de carburants des véhicules thermiques. La fiscalité de l’électricité étant beaucoup plus faible, l’essor de la mobilité électrique risque d’entrainer un manque à gagner important pour la sphère publique.

Face à ces différents constats, la FNAUT a souhaité disposer d’une évaluation quantitative du coût du soutien à l’électromobilité dans ses différentes dimensions ainsi que de piste de réflexion pour une fiscalité de l’énergie prenant en compte l’impact du développement du véhicule électrique sur les finances publiques. Pour répondre à cette demande, 6t-bureau de recherche a réalisé une modélisation prospective du parc automobile, des différents régimes d’aide à la mobilité électrique, ainsi que du système fiscal de l’énergie.

De 2013 à 2020, environ 1,7 milliards dépensés en subvention

Sur la période 2013-2020, la somme totale des aides à l’achat d’un véhicule électrique est évaluée à 1,7 milliard d’euros(soit pour se donner un ordre d’idée environ 0,5% des dépenses totales de l’Etat central, hors dépenses sociales). Le montant des aides suit globalement la courbe des immatriculations : il est donc en forte augmentation. En 2020, on évalue le montant des aides versées à 700 millions d’euros contre 250 millions d’euros en 2019. L’essentiel du montant des aides au véhicules électrique est porté par deux dispositifs : le bonus écologique (601 millions d’euros en 2020) et la prime à la reconversion (74 millions d’euros en 2020). Les aides versées par les collectivités territoriales sont plus difficiles à évaluer mais leur montant total apparait relativement marginal. Le total des subventions versées et de l’exonération de la taxe d’immatriculation est estimé à moins de 40 millions d’euros en 2020.[caption id="attachment_11800" align="aligncenter" width="580"]

Figure 1: Évolution des dépenses totales liées aux aides à l'achat des véhicules électriques (2013-2020)

A ces montants, il convient d’ajouter le soutien public à l’installation de bornes de recharge. En excluant le programme ADVENIR, financé par des acteurs privés, on estime qu’entre 268 et 300 millions d’euros seront alloués au soutien à l’installation de bornes sur la période 2014-2023. L’essentiel de ces sommes consiste dans les programmes nationaux d’investissements (PIA et France Relance) ainsi que dans le crédit d’impôt à la transition énergétique, devenu depuis 2021 Ma Prime Renov’.

Un manque à gagner de 9 à 12 milliards d’euros d’ici 2030

L’analyse du rendement des taxes indexées sur les carburants thermiques montre qu’un véhicule thermique rapporte de 570€/an (dans les zones urbaines) à 650 €/an (dans les zones rurales) à l’Etat pour un véhicule essence et de 700 à 790 €/an pour les véhicules diesel, cette différence étant liée au fait que les véhicules diesel roulent en moyenne davantage que les véhicules essence. A l’inverse, l’étude montre que le rendement fiscal d’un véhicule électrique est compris entre 140 et 150 €/an. En moyenne le remplacement d’un véhicule thermique par un véhicule électrique fait donc perdre dans les conditions actuelles entre 430 et 640€/an de recette fiscale.

La suite de ce travail est consacrée à l’évaluation de l’impact pour les finances publiques de différents scénarios d’évolution des taxes et incitations fiscales d’une part et de croissance de la mobilité électrique d’autre part. Le scénario le plus probable qui envisage une fiscalité inchangée, un doublement du malus et une division par deux du soutien à la mobilité électrique d’ici 2030 entraine un besoin de financement de 9 à 12 milliards d’euros par an en 2030 selon que l’on estime 5 ou 7 millions de véhicules électriques en 2030. Cela représente entre 1 et 1,3 trois fois le budget total du Ministère de la Justice (8,9 milliards d’euros en 2022).

Il est probable que ce manque à gagner devra être comblé par une augmentation de la taxation de l’électricité.  Deux cas d’étude sont évalués : dans un premier cas, l’ensemble du manque à gagner est absorbé par les utilisateurs de véhicules électriques. Dans un second cas, la fiscalité supplémentaire est appliquée à la consommation des véhicules électriques ainsi qu’à l’ensemble du secteur résidentiel. La première solution conduit à une hausse extrêmement brutale des coûts d’un véhicule électrique (+30% sur l’ensemble du cout total de détention). Les coûts variables augmentent de plus de 50% et passent largement au-dessus de ceux du véhicule thermique. Ce scénario apparait donc difficilement compatible avec la poursuite d’une électrification importante du parc. La seconde solution consiste à reporter la hausse de l’électricité sur l’ensemble du secteur résidentiel ainsi qu’à la consommation  des VE. La hausse de la fiscalité sur le KWh est donc plus modérée (elle est multipliée par 2 contre 10 dans le cas précédent). Le coût total de détention du véhicule électrique n’augmente que de 11% et les coûts variables de 17%. Ils demeurent inférieurs dans tous les cas à ceux d’un véhicule thermique neuf.[caption id="attachment_11802" align="aligncenter" width="580"]

Figure 2 : Évolution du coût variable par kilomètre estimé, taxe additionnelle sur les VE uniquement (2021-2030)

Figure 3 : Évolution du coût variable par kilomètre estimé, taxe additionnelle sur la consommation résidentielle et les VE (2021-2030)

L’équité sociale en question

Ces résultats montrent que le développement de l’électromobilité entraine des coûts trop massifs pour être supportés par les seuls utilisateurs de véhicules électriques, sans réduire considérablement l’intérêt économique de la mobilité électrique. Dans cette étude, nous évaluons l’impact d’un financement de la mobilité électrique par le contribuable via sa facture d’électricité.

S’il advenait, ce changement poserait d’inévitables questions d’équité sociale. Dans la mesure où le véhicule électrique se diffuse surtout dans les classes les plus favorisées de la population, ce mode de financement reviendrait à un financement de la mobilité des plus riches par l’ensemble des Français, soit une redistribution en sens inverse. Dans le même temps, la puissance publique pourrait considérer que d’une certaine manière, l’essor de la mobilité électrique contribue à résoudre un problème commun, celui de la réduction des gaz à effet de serre. Irait-elle jusqu’à socialiser les coûts de la mobilité électrique ? C’est la question que pose cette étude.

Via l’angle du financement de la mobilité électrique, cette étude interroge enfin le fonctionnement même de notre système fiscal, qui repose largement sur des flux physiques et en particulier sur des flux d’énergie. Dans un tel système, tout progrès vers la sobriété met en danger l’équilibre des finances publiques – c’est en particulier le cas avec le véhicule électrique qui consomme moins d’énergie par km que les véhicules thermiques. Progresser vers une société plus économe des ressources suppose de revoir en profondeur le mode de financement de la sphère publique.