Territoire des courtes distances : Diagnostic et enjeux pour le Canton de Genève et le Grand Genève

30/11/2022
Les auteurs de cet article
Sébastien Munafò
Directeur filiale Suisse
Magali Guillain
Chargée d'études et de recherche
Guillaume Blatti
Chargé d'études et de recherche
Nicolas Louvet
Fondateur et Directeur

Contexte et objectifs : Mesurer et donner à voir le territoire des courtes distances

La majorité des réflexions actuelles sur l’aménagement du territoire et l’urbanisme mettent en avant l’impérieuse nécessité de créer les nouvelles conditions de proximité. C’est notamment le cas dans les ambitions affichées de Vision territoriale transfrontalière 2050 dans laquelle la « ville ou le territoire des courtes distances » doit constituer un axe central d’analyse et d’action. Il doit en particulier permettre de penser l’articulation entre aménagement et mobilité en vue d’une réduction significative de l’impact environnemental de notre mobilité.

Situé en amont de toute problématique liée à la mobilité, le territoire et sa configuration apparaissent, en effet, comme la source de bien des problèmes, mais aussi la clé de bon nombre de solutions. Avant d’aborder toute mesure concernant l’offre de transport ou la demande de déplacement, il s’agit donc de penser et d’aménager le territoire en misant sur sa très forte propension à structurer l’une et l’autre.

À ce jour cependant, aucun diagnostic précis quant à l’intensité de la proximité aux équipements proposée par le territoire du Grand Genève n’était disponible. Or ce diagnostic est indispensable pour poser les principaux constats et, partant, d’alimenter les réflexions et cibler les meures dans ce domaine. L’étude « territoire des courtes distances » avait précisément pour but de pallier cette lacune avec un triple objectif :

  • Dresser un état des lieux du territoire du Grand Genève sous l'angle des courtes distances ;
  • Mieux identifier comment et en quoi la proximité des équipements impacte concrètement la mobilité quotidienne des habitants et l’impact environnemental de ce secteur ;
  • Formuler des enseignements et des propositions quant aux possibilités d'améliorer et d’opérationnaliser le territoire des courtes distances au sein de l’agglomération.

Méthodologie : Une typologie d’intensité de proximité

En vue d’établir un diagnostic du territoire des courtes distances, il s’agissait dans un premier temps d’identifier un bouquet d’équipements de proximité. L’idée centrale du concept des courtes distances est, en effet, que les résidents trouvent à proximité de leur domicile tout ce dont ils ont besoin au quotidien (achat, éducation, travail, santé, loisirs, etc.). En s’appuyant sur différents apports théoriques développés sur ce sujet (Madec, 2008 ; Moreno 2021), et en fonction des données disponibles en Suisse et en France, 8 grandes catégories d’équipements ont été retenues :

1. L’alimentation et première nécessité ; 2. La santé ; 3. Les services ; 4. L’éducation ; 5. Les loisirs ; 6. Les transports ; 7. La nature ; 8. Le social

À l’intérieur de ces grandes catégories, 32 types d’équipements ont pu être localisés à l’échelle de l’agglomération transfrontalière (Ces équipements sont détaillés dans la synthèse téléchargeable). Cela a permis de constituer une base de données regroupant plus de 25'000 équipements ponctuels tous géolocalisés au sein du territoire du Grand Genève.

En partant du principe que la fréquence de sollicitation des équipements par les individus doit être inversement proportionnelle aux distances qu’ils doivent parcourir pour les atteindre (plus on fréquente l’équipement, plus celui-ci doit être proche), nous avons ensuite attribué un bassin de chalandise à chaque équipement. Ce bassin de chalandise définit donc la portion de territoire au sein de laquelle l’équipement est considéré comme accessible.

Tableau : Caractéristiques des bassins de chalandise deséquipements

En considérant l’ensemble des équipements et leur bassin de chalandise à l’échelle de l’agglomération, il a été possible de qualifier chaque point du territoire en fonction de la quantité et de la diversité des équipements à proximité, selon un principe de carroyage.

Enfin, via une procédure de clustering, l’ensemble des carreaux a été analysé et a été classé en 7 grandes catégories typologiquesstructurant le territoire rendant compte de la quantité de la diversité des équipements et par extension du degré de réalisation de territoire des courtes distances. En d’autres termes, il s’agit d’une typologie d’intensité de proximité. Les 3 premières catégories de cette typologie peuvent être considérées répondant aux critères du territoire des courtes distances.

Description des catégories typologiques selon la présence des différents types d’équipements

Diagnostic du territoire sous l’angle des courtes distances

La répartition spatiale de la typologie à l’échelle du Grand Genève est présentée sur la carte ci-dessous :

Cartographie de la typologie à l'échelle du Grand Genève

Quelques enseignements de notre étude :

  • À l’échelle du Canton de Genève, 80% de la population habite – aujourd’hui déjà – dans le territoire des courtes distances, soit un territoire assurant autonomie à ses résidents en termes d’accès aux services, équipements et aménités nécessaires au quotidien.
  • À l’échelle du Grand Genève, la population est bien moins dotée en équipement. Environ 50% de la population habite le territoire des courtes distances, dont environ 25% dans un territoire de proximité intense. Un peu plus de 20% de la population réside dans le territoire d’équipement basique et près de 20% des habitants se situent dans les 2 catégories dont l’offre d’équipement est faible. 
  • À l’échelle du Canton de Genève, la répartition de la population selon l’affectation du sol permet de souligner l’enjeu que constituent les zones résidentielles. Alors que près de 80'000 personnes habitent ces zones (15% de la population du Canton), seuls 28% habitent le territoire des courtes distances, et essentiellement le territoire de proximité réduite.
  • Les zones résidentielles sont des territoires dans lesquels le développement de nouveaux équipements n’est que peu réalisable. Le fait qu’une majorité de la population y résidant vive dans un territoire d’équipement basique ou inférieur constitue donc un défi majeur, notamment du point de vue de la mobilité. 
  • Au sein du Canton de Genève, un peu plus de 80% des emplois sont situés en territoire de proximité, et 55% sont situés en territoire de proximité intense. En ajoutant les 12% d’emplois en territoire d’équipement basique, il n’y a que 7% des emplois du canton qui se situent en territoire peu équipés. À l’échelle cantonale, l’offre d’équipements et de services de proximité est meilleure s’agissant des emplois qu’elle ne l’est pour la population.

Les zones lacunaires : lorsque la densité n’est pas accompagnée des équipements et services de proximité

La carte ci-dessous présente les zones lacunaires du Grand Genève, soit des espaces ne faisant pas partie du territoire des courtes distances (3 premières catégories) malgré une densité de population conséquente comprise entre 3'500 et 7'00[hab./km]. Ces zones lacunaires sont différentiées selon l'affectation du sol. 

Cartographie des zones lacunaires à l’échelle du Canton de Genève, selon l’affectation du sol

Dans le canton de Genève, les zones lacunaires se situent en grande majorité dans les franges du cœur d’agglomération (parties des communes de Vernier, Bernex, Chêne-Bougeries, Vésenaz et une grande zone sise sur les communes de Carouge, Veyrier et Troinex. 

Dans le reste du Grand Genève, les zones lacunaires sont moins nombreuses et se situent prioritairement dans les centralités urbaines d’Annemasse, Thonon, Saint-Genis-Pouilly, St-Julien-en-Genevois, Gex, Nyon et Gland.

Ces zones lacunaires coïncident en grande partie avec des secteurs prioritaires de développement dans le PA4 et le PDCn. L'offre en équipements va évoluer avec la mise en œuvre de ces projets et il s'agira d'être attentif pour assurer la présence et la diversité des services nécessaires au quotidien.

Il convient toutefois de garder à l’esprit les contraintes que peut représenter l’affectation du sol en termes de renforcement ou de développement du territoire des courtes distances : 

  • Dans le Canton de Genève, 68% des zones lacunaires sont situées en zone résidentielles (zone villa), au sein desquelles il n’est pas autorisé de renforcer l’offre d’équipements et de services. 
  • Inversement, les zones d’activités qui jouissent parfois d’une offre conséquente d’équipements et services ne sont pas autorisées à accueillir du logement.

Ces différences de zonage nécessitent donc des solutions différenciées pour développer le territoire des courtes distances. En zone résidentielle peuvent par exemple être envisagées de modifications de zones ciblées en fonction d’un développement réfléchi de l’offre, ou l’aménagement de microzones ponctuelles de services au sein des zones résidentielles.

Typologie et mobilité : les vertus de la proximité sur nos déplacements et leur impact environnemental

Afin de mieux identifier les impacts de la proximité des équipements sur les comportements de mobilité, nous avons croisé la typologie et les bases de données des 2 enquêtes mobilité (le Microrecensement mobilité et transport (MRMT) pour la Suisse et l’Enquête Déplacements Grands Territoire (EDGT) pour la France).

Quelques enseignements importants :

  • On se déplace plus dans les territoires des courtes distances : une offre abondante et variée d’équipements induit en effet un nombre plus élevé de déplacements par jour ;
  • Mais on le fait sur des distances réduites et avec des modes moins polluants (modes actifs et TC) ;
  • Cela débouche sur une corrélation forte entre l’intensité de la proximité des équipements et l’impact environnemental de la mobilité : on remarque ainsi une croissance nette et régulière des émissions carbone journalières à mesure que l’offre en équipements s’amenuise sur le territoire : de 4.4 [kg équi. CO/pers.] pour le « territoire de proximité intense », on passe à 10.6 [kg équi. C/pers.] dans les « zones de nature », soit 2.4 fois plus
    En d’autres termes, la proximité des équipements apparaît comme un levier très fort de la décarbonation de la mobilité.

Recommandations : partager, valoriser, insuffler ou créer le territoire des courtes distances

Les résultats de l’étude, nous poussent à formuler plusieurs recommandations d'ordre général :

  • Le territoire des courtes distances est un projet multi-acteur : pour le concrétiser, il s’agit de partager tant le concept que le diagnostic du territoire avec l’ensemble des acteurs publics (aux différentes échelles territoriales) et privés concernés, chacun ayant un rôle à jouer.
  • L’indicateur d’intensité de proximité peut devenir un outil d’aide à la décision pour planifier les projets à venir, en particulier les nouveaux quartiers.
  • Le changement d’affectation du sol, en fonction de la localisation, du contexte et de la masse critique, est un levier pour permettre la mixité et est donc nécessaire pour concrétiser le territoire des courtes distances.
  • Il apparait nécessaire de mesurer et suivre : 1. l'évolution du territoire des courtes distances, en particulier la couverture de la population et des emplois par une classe de proximité ; 2. les effets de chaque type de mesure visant à développer le territoire des courtes distances.

Dans le rapport complet de l'étude et dans la synthèse téléchargeables ci-dessous, ces recommandations sont déclinées par typologie de territoire, correspondant aux enjeux spécifiques relatifs à chaque catégorie identifiée.