Qui sera la prochaine victime de vol de vélo ?

21/11/2022
Les auteurs de cet article
Nabil Kabbadj
Chargé d’études et de recherche
Nicolas Louvet
Fondateur et Directeur

Crédits image : Lance Grandahl, Licence Creative Commons

Deux nouvelles questions de l’EMP nous permettent de dresser le profil du cycliste le plus à risque face au vol de vélo en France.

Tous les ans, au moins 100.000 français abandonnent la pratique DU vélo suite au vol qu’ils ont subi

En 2019, 49% des ménages possèdent au moins 1 vélo adulte ou enfant en France d’après l’Enquête Mobilité des personnes. 3% d’entre eux ont connu au moins un vol de vélo sur les 12 mois qui ont précédé l’enquête, soient un peu plus de 450 000 ménages. Parmi ces ménages victimes, presque un quart (23%) comprennent un membre ayant abandonné la pratique du vélo suite à ce vol – cela représente environ 100 000 ménages dans toute la France.

Dans un contexte où encourager la pratique du vélo est aujourd’hui un objectif majeur des collectivités et de l’Etat, la question se pose des ménages touchés par les vols, afin de cibler au mieux les mesures à même de les réduire.

Nous pouvons pour cela nous appuyer sur l’Enquête Mobilités des Personnes (EMP, 2019) de l’INSEE. Celle-ci fournit des informations sur la mobilité des ménages et nous renseigne sur ceux qui ont subi un vol de vélo au cours de 12 derniers mois précédent l’enquête.

Au plus on utilise son vélo au plus on risque de se le faire voler

La principale différence d’usage du vélo entre les ménages victimes d’un vol et les autres ménages cyclistes est la fréquence d’utilisation de ce mode : la part des déplacements réalisée à vélo est quatre fois plus élevée chez les ménages victimes que chez les autres (11% contre 3%).

En revanche, les ménages victimes et les autres ménages cyclistes ont le même nombre de vélos adultes (1,6) et enfant (0,6), et à l’échelle d’un déplacement, la durée moyenne passée à vélo est la même chez les victimes et chez les autres cyclistes (15 minutes).

Enfin, proportionnellement aux trajets effectués, ménages victime et non-victimes ont le même usage des emplacements privés pour stationner leurs vélos. Les ménages qui ont subi des vols n’ont donc pas des pratiques de stationnement différentes en nature (en voirie versus en emplacement privé ou en parking), mais sont simplement plus fréquemment exposées au risque.

La description des ménages les plus concernés par le vol revient donc pour partie à une description des ménages les plus utilisateurs du vélo. Il s’agit de ménages dont la personne de référence est plus souvent en activité (77% chez les ménages victime contre 68 % chez les autres) et habitant plus souvent dans des zones denses : seuls 10 % des ménages victimes habitent dans des zones peu denses contre 38 % des autres ménages cyclistes.

Nous ne sommes pas tous égaux face au vol de vélo

A l’aide d’une régression logistique (cf annexe méthodologique), nous observons que, toutes choses égales par ailleurs, les caractéristiques socio-économiques de la personne représentante du foyer divergent selon que le ménage ait subi un vol ou non, ce qui indique de fortes disparités, à la fois économiques, sociales et spatiales.

Afin d’illustrer ces différences, nous pouvons prendre l’exemple fictif de Claudette et Etienne, dont le point commun est leur amour du vélo : tous les jours, Claudette et Etienne se déplacent à vélo. La moitié de leurs déplacements de la journée sont effectués à vélo, et ils passent en moyenne 15 minutes par déplacement sur leur vélo.

Pourtant, même si Claudette a les mêmes pratiques qu’Etienne, Claudette est bien moins susceptible de subir un vol de vélo, comparé à Etienne. Etienne aurait en moyenne une probabilité de 12,3% d’avoir connu un vol de vélo dans son foyer au cours des douze derniers mois. Pour Claudette, cette probabilité n’est que de 0,14%. Pourquoi ?

Claudette et Etienne ont des profils très différents (Tableau 1). Claudette est retraitée, ancienne cadre d’entreprise et vit avec son mari Benoît dans une commune très peu peuplée en zone rurale ; tandis qu’Etienne est père célibataire de deux enfants, réside dans une commune densément peuplée, dans une ville centre. Il est ouvrier non qualifié, actuellement en recherche d’emploi. Chacune de ces différences en matière de parcours de vie est corrélé à une différence en matière de probabilité de subir un vol de vélo.

L’écart en termes de probabilité de se faire voler son vélo s’explique ainsi tout d’abord par l’espace fréquenté par ces deux amoureux du vélo : en moyenne et toutes choses égales par ailleurs, un cycliste résidant en ville centre aura une probabilité plus élevée (de l’ordre de 2,2 points de pourcentage) de subir un vol de vélo, comparé à un cycliste résidant en zone rurale.

D’autre part, la densité de population de la commune de résidence joue également un rôle important dans la probabilité de cet évènement : les cyclistes des communes densément peuplées ont une probabilité plus élevée (de presque 4 points de pourcentage) de connaître un vol de vélo sur une période de 12 mois, comparés à ceux des communes très peu denses.

Enfin, le statut d’emploi et la CSP – qui sont révélateurs du niveau de revenu et donc de la précarité des ménages – sont le troisième déterminant du vol de vélo. Toutes choses égales par ailleurs, un ménage dont la personne de référence est chômeur aura une probabilité plus élevée (de l’ordre de 1 point de pourcentage) de connaître un vol de vélo. Pareillement, lorsque la personne de référence est retraitée, sa probabilité d’être victime de vol de vélo diminue en moyenne de 3 points de pourcentage, toutes choses égales par ailleurs.

Tableau 1: Profils socio-économiques de deux cyclistes fictifs, Etienne et Claudette

Le vol de vélo, un problème d’équité territoriale et sociale

A utilisation égale du vélo, on estime ainsi d’importantes disparités entre cyclistes, déterminés par des facteurs d’ordre spatial, social et économique : le territoire pratiqué, le statut social et les revenus sont, selon notre modèle, responsables de gouffres entre les ménages, en termes de probabilité de vol. Comme l’illustre l’exemple fictif de Claudette et Etienne, les cyclistes les plus précaires peuvent parfois être 10 fois plus susceptibles que les autres de subir un vol sur une période d’un an.

Ainsi le vélo, mode présenté comme démocratique par excellence, voit son usage freiné pour les catégories socio-économiques les moins favorisées.

Vers des aides au stationnement vélo sécurisé ?

Des efforts doivent être fait afin de rendre ce mode plus inclusif, en réaménageant l’espace urbain, de sorte que même les milieux les plus densément peuplés et les plus précaires aient accès à des solutions de stationnement sécurisées. Les offres de stationnement vélo sécurisé en voirie, en gare ou encore dans les copropriétés devraient ainsi être prioritairement fléchées vers les quartiers urbains les plus modestes, où de tels investissements auraient le plus d’impact.

Enfin, à l’heure où la question de la progressivité sociale des aides à l’achat de vélos est de plus en plus soulevée au sein des collectivités, ces résultats nous invitent à imaginer des aides au stationnement plus élevées pour les publics les plus modestes.

[1] Initialement, cette matrice tenait à être plus exhaustive et inclure les lieux et durées de stationnement ainsi que les distances moyennes parcourues par jour à vélo. Malheureusement ces informations n’étaient disponibles que pour une poignée de ménages (158 sur 7274) et ne permettaient donc pas une estimation précise de leurs effets sur la probabilité de vol.